Pham Minh Hoang : au Vietnam, « nous vivons dans une dictature »

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28 juin 2017

Le dissident franco-vietnamien Pham Minh Hoang est arrivé à Paris dimanche 25 juin après avoir été privé de sa nationalité vietnamienne et expulsé du pays par le régime à parti unique. Une mesure qualifiée de violation patente des droits de l’homme par Human Rights Watch. Le Vietnam est un pays où les opposants sont fréquemment emprisonnés, mais le blogueur et ancien professeur de mathématiques de 62 ans est le premier à se voir retirer sa nationalité. Pham Minh Hoang n’a pas eu le temps de saluer sa famille quand la police a fait irruption chez lui samedi soir pour le conduire à l’aéroport. RFI a recueilli son témoignage.

RFI : Comment vous sentez-vous quelques jours après votre arrivée ?

Pham Minh Hoang : De mieux en mieux ; sur le plan physique, je suis surpris de récupérer assez vite mais sur le plan moral, c’est un peu plus dur, il me faudra du temps pour récupérer et vivre comme toute le monde. Pour l’instant rien n’est encore « normal ». Et à chaque fois que je pense à ma famille, cela fait mal.

Avez-vous pu parler avec votre femme ?

Oui. Quand j’ai atterri à Charles de Gaulle, je l’ai tout de suite appelée pour la rassurer. Mon départ et les conditions dans lesquelles il a eu lieu – devant ma fille de 13 ans – ont été traumatisants. Mais elle m’a assuré qu’elle aurait la force de faire face aux pressions. C’est une femme merveilleuse.

Vous attendiez-vous à cette décision de la déchéance de nationalité, avez-vous eu des signes avant-coureurs ?

Le 1er juin, le consul de France m’a confirmé que le président du Vietnam avait signé ce décret de déchéance de nationalité vietnamienne. Cela a été un choc psychologique incroyable. Je suis resté sans voix, j’étais tétanisé. J’ai pensé que c’était juste une menace, pour que je cesse toutes mes activités politiques, mais le consul m’a dit que c’était officiel et que je devais me préparer à partir pour Paris. Cela a été douloureux à entendre. Sincèrement, je ne m’y attendais pas du tout. Depuis que j’ai été libéré en 2012, j’affirme que mes activités sont tout à fait légales. J’écris des articles que je publie sur les réseaux sociaux, je parle de l’actualité courante du Vietnam, comme l’invasion chinoise en mer de Chine, l’environnement et surtout les réformes du système éducatif. J’étais enseignant à l’université : mon rôle est d’être critique, critiquer le gouvernement sur ses réformes, c’est quelque chose de normal.

Quand j’écrivais, j’employais des termes très modérés, jamais je n’insultais quiconque, jamais je n’ai appelé à des actes violents ni à renverser le gouvernement. En un mot, pendant cinq ans, ce que j’ai fait était pacifique et constructif. C’est pourquoi j’ai été très surpris quand j’ai appris la déchéance de ma nationalité. Même à présent, alors que je suis à Paris, je me demande si ce n’est pas un cauchemar, mais je dois bien constater que ce n’est pas un cauchemar et que je dois vivre ainsi.

Avez-vous pu entreprendre des démarches de recours avant votre expulsion ?

J’ai tout de suite consulté mon avocat. Après avoir étudié les dossiers, et le code de nationalité vietnamienne, il a conclu que la décision était totalement illégale. Nous avons envoyé une lettre de recours au ministère de la Justice, restée sans réponse. Mon avocat s’est rendu à Hanoï mais le ministère de la Justice a refusé de recevoir le dossier. Quelques jours plus tard la police m’a convoqué pour « régulariser » ma situation, puisque je ne suis plus vietnamien. Mais tout le monde sait que c’était pour m’arrêter et m’expulser.

Pendant le mois de juin, j’ai vécu dans la peur. Je n’ai pas osé sortir de la maison pour aller à la messe, ou au marché, ni pour aller chercher ma fille à l’école. C’était intenable. Et puis ce qui devait arriver est arrivé, ils sont entrés chez moi et m’ont forcé à sortir… et je suis à Paris. Mon avocat va maintenant continuer le combat pour me rendre justice. Mais c’est le président qui a signé, le seul organe qui pourrait contredire sa décision c’est le Comité permanent de l’Assemblée nationale, c’est impensable. Le Vietnam est un régime de parti unique, personne ne peut critiquer le décret présidentiel et la France ne peut pas intervenir dans les affaires intérieures du Vietnam. Les portes sont fermées devant moi.

J’ai vu les avocats de Reporters sans frontières (RSF), nous allons faire campagne contre le gouvernement vietnamien sur le plan judiciaire et sur celui de la violation des droits de l’homme mais sincèrement, le retour au Vietnam, c’est-à-dire l’annulation de la décision, cela semble impossible. J’ai quand même un espoir : un jour je reviendrai au Vietnam, lorsque le pays sera devenu démocratique. En attendant, à Paris, je vais continuer la lutte pour les droits de l’homme, et comme je suis enseignant je vais essayer de me rendre utile aux jeunes, et à l’avenir du pays.

Vous évoquez votre libération en 2012, pouvez-vous revenir sur les motifs de votre arrestation en août 2010 ?

Les autorités me reprochaient, sous couvert d’organiser des réunions universitaires, de recruter des militants pour le Viet Tan, un mouvement qui lutte pour la démocratie [interdit au Vietnam, Ndlr]. Elles m’accusaient de tentative de renversement du gouvernement parce que, selon elles, je me rendais à l’étranger pour apprendre les méthodes de lutte non violente, de sécurité informatique. Elles me reprochaient aussi d’écrire des articles critiques sur des sujets comme l’exploitation des mines de bauxite par la Chine, la corruption, la santé, l’éducation, bref de nuire à l’unité nationale.

En première instance j’ai été condamné à trois ans de prison ferme et trois ans de résidence surveillée. Mais suite à l’intervention de gouvernements européens, la peine a été réduite à 17 mois. Mais je suis resté en résidence surveillée. J’ai été libéré le 11 janvier 2012.

En 2014, vous avez subi des menaces physiques, que s’est-il passé exactement ?

Un jour des policiers en civil s’installent juste en face de chez moi – je vis dans une sorte de marché dans un quartier populaire de Ho-Chi-Minh-Ville – chacun installé sur un tabouret, un couteau à la main : c’était une façon de me menacer. J’ai tout de suite appelé la police locale, en devinant par avance leur réponse : ils m’ont dit « nous sommes en réunion ». Vous voyez, c’est quelque chose d’impensable en France : vous êtes menacé par des voyous armés et on vous répond qu’on est en réunion.

Finalement j’ai appelé le consul de France, qui est venu tout de suite. Il a filmé les lieux – je l’ai trouvé très courageux. Puis ma femme lui a montré la maison en face de la nôtre, que ces hommes utilisaient pour leur surveillance. Nous y sommes entrés ensemble et il a été physiquement pris à partie, il y a eu un moment de panique, le consul a passé un coup de téléphone et ils nous ont laissé repartir, après lui avoir dit « même si vous étiez le président nous ferions la même chose, ici c’est le Vietnam, nous faisons ce que nous voulons ».

Cette surveillance que vous décrivez, l’avez-vous subie longtemps ?

Oui. Vous savez, au Vietnam ils nous surveillent en fonction des événements. Par exemple, si demain c’est la fête nationale, ils s’installent devant chez moi, me surveillent quelques jours puis ils me laissent tranquille. Mais l’an dernier, depuis les événements de Formosa [société industrielle taïwanaise à l’origine d’une fuite de produits toxiques sur les côtes du centre du pays, Ndlr], ils m’ont surveillé pendant 9 mois, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est très tendu.

La vie des militants au Vietnam est infernale, si vous vous engagez vous devez savoir que votre vie sera menacée, la vôtre, celle de votre famille, de vos proches. Vous vivez sous pression permanente. Si vous trouvez un emploi, on utilisera tous les moyens que vous soyez mis à la porte. Si vous trouvez un logement, le propriétaire vous rendra très vite la caution et annulera le bail.

Et si ces moyens restent sans effet, on utilisera la force. Vous serez attaqué physiquement, brutalisé, traité comme une bête. J’ai vu une journaliste qui avait été attaquée près de Hanoï, j’ai vu son genou, les ligaments déchirés. Ses deux jambes ont été torturées et blessées. Elle marche avec une canne, difficilement. Nous vivons dans une dictature.

Pham Minh Hoang est l’invité de la Chronique des droits de l’Homme samedi 1er juillet

Source : RFI

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